Les spécialistes de l'information auraient-ils trop le nez dedans pour ne pas voir qu'ils ne savent plus ce qu'ils font ?
Lorsque j'allume la radio pour écouter les infos, je l’éteins deux minutes plus tard, et fulmine contre les journalistes.
Ce qui m'insupporte ? De n'entendre parler que d'argent, d'économie, d'entreprise et de politique. Pas l'once d'une information qui soit en résonance avec mon vécu d'être humain. Serais-je anormal ? Inhumain ? Attendrais-je des informations journalistiques qu'elles soient ce qu'elles ne sont pas censées être ? Qu'est-ce qui cloche ?
Posons donc la question simplement : qu'est-ce que l'information journalistique ?
Informer, c'est mettre en-forme. En biologie par exemple, l'information modifie la nature et/ou la fonction du constituant qu'elle touche. L'information n'est pas un simple renseignement, elle a pour but de formater celui qui en prend connaissance, ce qui n'est pas forcément péjoratif, mais il y a dans le concept d'information quelque chose qui s'impose, comme si celle-ci dessinait à notre place les contours externes et internes de notre monde. Informer, c'est imprimer une information, mais pas seulement sur du papier ou sur un écran, c'est l'imprimer en celui qui en prend connaissance.
Le savoir a plusieurs provenance : les écoles, les livres, les conférences, les rencontres …, mais l'information journalistique a une fonction particulière par rapport à toutes ces autres sources de savoir, elle nous renseigne sur les événements qui changent quotidiennement.
Intéressant !
Dans les civilisations où la constance était recherchée, il n'y avait pas de journalistes, seulement des courriers qui relayaient quelques informations fondamentales.
Notre civilisation ne peut pas se passer de journalistes parce que c'est une civilisation de l'agitation. Je pense bien que c'est cela qui m'insupporte. Lorsque j'allume la radio, j'ai l'impression très désagréable qu'on veut me pousser à une agitation et à un stress dont je ne veux pas. Le journal sur papier est moins agressif mais pas très différent : c'est toujours une grande quantité d'articles à lire chaque jour, rien ne nous y oblige, comme rien ne nous oblige à allumer notre radio, mais l'agitation est bien là, elle se propose comme modalité du monde et le fait est qu'elle est la modalité de notre monde politico-économique. Il faut écouter avec quelle précipitation les journalistes enchaînent leurs déclarations, comme si l'information principale, subliminale, qu'il voulait imprimer en nous, était qu'il faut se dépêcher, qu'il ne faut pas rater le train, sous peine d'être dépassé par la réalité, comme si le temps allait poursuivre sa route sans nous, comme si les informations dont ils nous gavent étaient la substance de ce temps après lequel il nous faudrait courir chaque matin.
Une question se pose : les journalistes nous communiquent-ils cette agitation parce que le monde est agité ou le monde est-il agité parce que les journalistes en sont des constituants essentiels ?
Les deux formules sont valables puisqu'elles sont interdépendantes. Notre monde moderne ne peut pas exister tel qu'il est sans journalisme. Il ne s'agit pas de savoir finalement si l'agitation du monde fait le journalisme ou si le journalisme fait cette agitation : le journalisme est constitutif de l'agitation de notre monde.
Mais qu'est-ce donc que cette agitation ? Si nous nous plaignons du fait que l'information soit trop politique et économique, n'est-ce pas parce que ce sont là les catégories de cette agitation dont le journalisme est le système sanguin ?
Et en définitive, si un être humain se demande ce que deviendrait son humanité sans cette agitation, sans le journalisme, sans politique, sans économie, sans entreprise …, il réalise qu'elle serait intacte. Je ne dis pas que tout cela ne doit pas exister, je dis que rien de tout cela n'est indispensable à notre humanité.
L'agitation à laquelle le journalisme nous conditionne nous met-elle en phase avec le réel ? Faut-il vraiment courir après le temps et les événements qui changent sans cesse ? La réalité est-elle une course à ce qui devient ?
Ce qui est saisissant, c'est d'écouter les informations diffusées il y a trente ans : même contenu politique, économique, même précipitation. Ce simple retour en arrière nous apprend un fait essentiel : l'agitation politico-économico-journalistique est virtuelle. L'agitation ne s'agite pas elle-même, elle est figée, c'est une fausse image de la réalité dont la fonction est de nous agiter nous, auditeurs et lecteurs, comme si ce monde politico-économique avait besoin pour nous asservir que nous soyons plongés dans un temps virtuel, celui d'une histoire qui suivrait son cours.
L'histoire suit-elle son cours ? Rien n'est moins certain. L'histoire est une construction mentale, une mémoire sauvegardée et re-projetée, pas une réalité objective que nous serions forcés de considérer. La politique, l'économie et le journalisme qui nous les met en scène sont les agitateurs permanents de cette histoire, de cet univers mental qui nous coupe du réel.
Progressisme, historicisme, tout cela nous a conditionné à croire que l'histoire nous menait quelque part et qu'il nous suffisait d'être les acteurs de ce devenir virtuel dicté par la pensée économique et politique.
Si nous voulons vraiment changer le monde, nous devons changer les catégories de notre entendement. Les êtres humains qui prétendent vouloir changer le monde font toujours l'erreur de l'imaginer avec ces mêmes catégories qui sont constitutives du monde dont ils ne veulent plus. Les révolutionnaires sont d'ailleurs toujours les plus accrochés aux catégories du monde qu'ils prétendent dépasser. Le communisme par exemple n'est qu'un capitalisme contradictoire, il veut ses avantages mais dans un esprit égalitariste qui les rend inaccessibles.
Travail, famille, économie, politique, information, industrie, loisir, aide, histoire, projet … autant de catégories dont il faudrait débarrasser notre entendement.
Mais qui veut assumer le changement d'identité et de conscience de soi que cela implique inévitablement ?