L'étymologie du mot est sans ambiguïté : le militant est une sorte de soldat ; le militantisme consiste à combattre. La critique de ce dernier n'est pourtant pas une critique du combat mais celle d'un travers dont il est fortement imprégné et qui fait selon moi le "militantisme" proprement dit, à savoir la fâcheuse tendance des individus à s'identifier à la cause qu'ils défendent.
Le militant, en général, estime indispensable de faire de son adhésion une caractéristique de sa personnalité. Conditionné par cette logique, il jugera tout individu ne s'y soumettant pas comme étant mauvais, fade ou suspect.
Ce qui est dommage dans cette attitude, c'est la certitude cachée qu'une action n'est valable que si sa cause finale implique le besoin maladif de l'ego de s'y confondre pour solutionner sa quête impossible d'identité.
Le constat est radical : le militant (personne n'est réductible à son militantisme) se soucie moins de la cause qu'il défend que de s'identifier à elle. Toute sa prétention à servir cette cause est factice. Elle n'est qu'un subterfuge de l'ego. Et si l'engagement du militant se fonde au départ sur des valeurs nobles et justes, son militantisme, lui, n'est que l'instrumentalisation de ces valeurs. Et si le combat qui est mené aboutit à des résultats tangibles, ce ne sera pas grâce au militantisme mais seulement aux actes eux-mêmes, le militantisme n'étant que la prétention égotique à contrôler et à justifier ces actes, qui n'ont besoin de rien d'autre qu'un coeur pour être motivé et qu'un corps pour être agis.
Pourquoi un constat si radical ? Parce que les mécanismes de l'ego sont impitoyablement dénaturant et que leur puanteur envahit tout. A quoi cela se voit-il ? À la façon dont le militant se représente des entités diaboliques qui sont ses ennemis. A la façon qu'il a de diaboliser un tiers, de le mépriser et de l'insulter.
Ainsi un militant qui traite de fasciste son opposant fait, non pas en acte mais en terme psychologique, exactement la même chose que celui-ci. L'anti-fasciste, de manière général, reproduit les mêmes mécanismes que ceux qu'il désigne comme fascistes : il appréhende le monde selon des représentations manichéennes qui opposent les bons et les méchants, le bien et le mal ...etc, et qui le conduisent à aimer ce qu'il aime et à mépriser ce qu'il méprise.
L'ego est un néant, une fiction qui tente d'atteindre une substance qu'il n'est pas et ne peut pas être. C'est un processus très réel qui n'est pas ce qu'il croit être. Il utilise pour cela différents mécanismes qui passent tous par la pensée. L'un de ces mécanismes consiste à opposer moi et l'autre.
Mais il y a une différence entre la distinction avérée entre deux individus et la façon dont l'ego la pense et l'interprète. Pour lui cette distinction est l'occasion de se sentir exister, à défaut d'être, et lorsqu'il appui cette distinction en diabolisant l'autre, non seulement il se sent exister, mais en plus il se convainc qu'il est lui-même infiniment bon et juste puisqu'il est l'opposé de l'autre qui est un "con".
Ce qui est compliqué, c'est qu'il y a objectivement des causes qui sont nobles et justes, et lorsque l'ego choisi ces causes-là pour opérer son affaire, il devient délicat de le mettre en doute puisque s'identifiant complètement à celles-ci, toute remise en cause est perçue comme celle de ces nobles causes.
Le militant est donc comme un chien enragé qui ne veut pas lâcher la fleur qu'il a entre les dents et qui mord dès qu'on essaye de lui expliquer qu'il est en train d'abîmer cette fleur.
Mais les chiens entre eux s'entendent merveilleusement bien. Chaque échange entre eux les confortent chacun dans l'idée qu'ils ne font qu'un avec la fleur qu'ils se sont appropriés, que cette fleur est une part de leur identité. Tout autre usage de la fleur par autrui sera perçu comme une agression puisque révélateur de la non-identité entre soi et celle-ci. Cette altérité devra alors être justifiée par un moyen très simple : le jugement radical selon lequel cet autrui n'a pas d'identité, pas de personnalité, donc qu'il est lâche et fade, ce qui ne saurait aller sans une dose de mépris et d'insultes par laquelle le chien se débarrasse sur cet autrui du poison qu'il a secrété quand cet autrui par sa posture a eu l'outrecuidance de lui démontrer que son identité était factice.
La question est alors de savoir si on peut mener des combats sans être militant. Evidemment oui, puisque c'est le cas de beaucoup de personnes qui s'impliquent dans des actes concrets et qui sont justement assez consistantes spirituellement pour ne pas être soumis au besoin impératif de se servir de la cause qu'ils défendent pour se sentir exister.
Idéalement un individu souhaitant participer à des actions collectives concrètes aura compris que le danger pour lui est d'ajouter à la bêtise de ce qu'il veut combattre la bêtise de le diaboliser.
Mais ce n'est pas simple, car l'ego en nous est un tyran très habile.
Il peut par exemple nous pousser à reproduire ce que nous dénonçons en nous faisant diaboliser et mépriser le militant.
Il y a pour se prémunir contre cela un effort à faire, qui consiste à nier le militant, c'est à dire à s'interdire de réduire une personne à son militantisme. Car en définitive, le militant n'existe pas : c'est encore une représentation que l'ego construit pour avoir quelque chose à opposer à sa facticité pour tenter de lui donner consistance. Il n'y a pas de militant, seulement le militantisme d'ego qui ne sont que des processus monstrueux à l'oeuvre dans les individus.
Le militant n'est pas un individu à mépriser, c'est une figure de diabolisation, une représentation mentale qui a pour fonction de renforcer l'ego et de le faire secréter ses poisons.
Mais la meilleurs façon de se prémunir contre tout cela reste l'amour de soi, car en définitive l'ego n'est jamais que la monstruosité qui se répand là où l'amour de soi fait défaut et laisse un vide. L'amour de soi cependant n'est pas à l'abris d'une récupération de l'ego qui se fera un devoir d'en faire sa chose, qu'il en fasse un délire mystique, une mièvrerie ou un amour narcissique. L'amour de soi est l'amour tout court qui rayonne naturellement du cœur à partir du moment où nous nous sommes libérés de tout ce qui nous conditionne à nous juger et nous dévaluer, c'est à dire la liste interminable des devoir-être et devoir-faire que notre éducation et notre appartenance socio-culturelle ont généré en nous.
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JJ